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Unlimited Miles
7 juin 2005

The Race Across The Alps 2005

 

 

 

 

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parcoursPour le cyclo amateur de montagne et de défis, la RATA (The Race across the Alps) est une épreuve fascinante. Elle nous fait pénétrer dans cette sphère étrange que l’on s’accorde à appeler Ultra Distance, un mélange passionnant entre aventure, effort physique, engagement mental, défi personnel et exploration de ses propres limites.

 

192010_1_Sans atteindre la démesure d’une épreuve telle que la XXAlps,le parcours propose une boucle de 540 km au départ de Nauders, petite station de ski familiale dans le sud de l’Autriche. Les amateurs du « tout sur la plaque » et de grosses moyennes devront passer leur chemin car la dénivelée positive atteint le joli cumul de 13 700m, avec 8 cols à plus de 2000m, et certains noms qui ont marqué les coureurs du Giro: le Mortirollo, le Stelvio, le Gavia …Le dépaysement est garanti avec la visite de trois pays: l’Autriche, l’Italie et la Suisse, et des paysages de haute montagne à couper le souffle. Le rêve est à porté de pédales avec la possibilité de vivre presque trois Marmottes d’affilées en un peu moins de 22 heures pour les meilleurs et un peu plus de 32 heures pour les moins rapides. Pour cela il faudra oser l’aventure, repousser un peu ses limites et vaincre ses appréhensions. Le bonheur de venir à bout d’un tel périple n’a pas de limites.
De l’avis de ceux qui ont terminé la RATA, il s’agit de la course d’un jour la plus dure au monde.

 

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Une participation à la RATA ne s’improvise pas. Outre l’aspect entraînement qui est déjà un défi en soit, chaque concurrent doit, après avoir été autorisé à prendre le départ par l’organisation, prévoir sa propre logistique d’assistance, soit trois personnes plus un contrôleur. Compte tenu des dangers réels que peut présenter la partie nocturne du parcours, le véhicule d’assistance est obligatoire avec un bon éclairage, ce n’est pas un luxe.
D’autre part les concurrents se doivent de bien étudier le road book fourni, le fléchage du parcours se réduisant à une ou deux flèches placées à des bifurcations stratégiques. Cela ne constitue pas un réel problème car il est de très bonne qualité, illustré de photos qui permettent de visualiser les lieux traversés, d’autant plus que les directions à suivre sur un grand itinéraire montagnard sont souvent évidentes.

Il y a quelque chose d’excitant à se lancer pour la première fois sur cette RATA, on ne réalise pas trop dans quoi on s'est engagé, on n'a aucune idée de ce que peut représenter un tel cumul de difficultés et comment notre corps va pouvoir s’adapter à cela. Même si au fond de nous on reste persuadé d’en être capable, il est impossible de maîtriser tous les paramètres qui vont nous permettre de réussir à rallier l'arrivée. C’est toute cette incertitude et ces inconnues qui font que prendre le départ de la RATA est passionnant. Pouvoir s’échapper d’un univers trop aseptisé et balisé, vivre « un truc de fou » qui nous marquera longtemps, voilà ce qui nous est proposé par la RATA.

Le Stelvio

114224_1_Vendredi 7 juillet, à midi pile, le départ pour 43 courageux est donné depuis le centre de Nauders. Le briefing de la veille et la présentation des coureurs le matin même sur le podium ont permis de se mettre petit à petit dans l’ambiance. Tout le monde est calme, on débute enfin l’aventure tant attendue, conscient que les prochaines heures vont être riches en émotions.

 

Le petit peloton s’échauffe tranquillement sur les faux plats du Reschen Pass et le long du Lac de Resia, après le passage de la frontière italienne. stelvioLa météo peu clémente des jours précédents nous accorde une trêve, un bon vent du nord pousse et permet de dévaler à grande vitesse jusqu’à Prad, au pied du col du Stelvio. L’allure  a été neutralisée jusque là, soit 38 km facilement gagnés, un préambule qui permet de se concentrer doucement et d'admettre que l’on va passer les 24 prochaines heures « le cul sur la selle ». A la sortie de Prad, la voiture ouvreuse de l’organisation accélère, les coureurs aussi, le départ réel est donné. L’altimètre indique 900 m, le Stelvio est annoncé à 2757 m, 26 km d’ascension séparent ces deux points. L’entrée en matière pour cette RATA est assez radicale.

 

A partir de là, deux options sont possibles :

- O
n est sûr de soi et on a des watts sous le capot, alors, comme on dit dans le jargon, on « envoie gros » et on fait le ménage.
- On est un peu moins sûr de soi ou alors les watts nous fuient, dans ce cas on adopte un rythme prudent qui nous permet de nous économiser, on dose chaque coup de pédale, on rationne nos forces.

 

 

 

140313_1_Les partisans de la première option franchissent en tête le Stelvio, ils se nomment Paul Lindner, Alesandro Forni et Yves Chyzelle.

stelviopLe Stelvio est un col admirable, le cycliste doit venir à bout d’une véritable forteresse constituée de 54 épingles à cheveux, dans un paysage qui part des feuillus pour s’achever dans un univers rocailleux, minéral et glacé, typique de la haute montagne. Sans être extrême la pente évolue entre 7 et 9%, ce qui permet d’atteindre le sommet sans avoir subit trop de dommages. Au sommet le temps semble vouloir rester au sec, mais l’altitude aidant, la température s’est considérablement rafraîchie avec un petit 8°. Dans ces conditions il est préférable  d’enfiler une veste chaude avant de basculer sur Bormio pour ne144724_1_ pas trop se refroidir. La descente est longue et le plus souvent sur un bon revêtement, la succession de virages en épingle est à nouveau impressionnante. Les fins descendeurs se régalent dans l'enchaînement de virages où il faut doser avec rigueur les trajectoires, les freinages et les relances. Pour les autres la plus grande vigilance est recommandée.

Le Gavia

 

153615_1_A Bormio, 85 km ont déjà été parcourus en 3 heures pour les six premiers concurrents qui se sont regroupés. On y retrouve enfin le grand favori de cette RATA, le suisse Daniel Wyss, qui a connu un démarrage difficile dans le Stelvio. On prend un peu son temps, on se ravitaille, on enlève les vestes, mais surtout on n’oublie pas de tourner à gauche en direction du prochain obstacle : le col du Gavia à 2621m. Une première partie de 13 km, plutôt « roulante », permet de passer de la cote 1125m à la cote 1738m au village de Santa Caterina. Les choses se gâtent dès la sortie du village, il reste 13 km et 900m à gaviabgravir jusqu’au sommet, avec des pentes très irrégulières, parfois très forte. On évolue tout d’abord dans une belle forêt de conifère qui laisse de temps en temps entrevoir les paysages de haute montagne environnant. Puis progressivement la végétation laisse place à cet 162441_1_univers si particulier, pelé et parfois hostile, que l’on retrouve à plus de 2000m. L’effort devient plus intense et un peu plus solitaire. Certaines rampes particulèrement coriaces se chargent de briser les alliances de circonstance. Aux avant postes, le groupe de tête a volé en éclat, l’autrichien Paul Lindner a pris la direction des opérations suivi de près par l’italien Alessandro Forni et le suisse Daniel Wyss. Pour le reste de la troupe, la stratégie est maintenant très claire : gérer chaque col l’un après l’autre.

 

163049_1_163921_1_A l’approche du sommet le ciel devient franchement menaçant, c’est inquiétant d’autant plus que la température a chuté à 4°. Les premières gouttes se font sentir, elles ne tardent pas à se transformer sous forme d’averses de neige. Il faut vite réagir en se couvrant, certains équilibristes arrivent à enfiler vestes et gros gants tout en roulant, d’autres moins à l’aise ou déjà grelottant doivent  s’arrêter pour s’équiper. La descente sur Ponte di Legno relève de la véritable acrobatie. La route est étroite, extrêmement sinueuse, ne permettant pas à deux véhicules de se croiser, les très fortes pentes obligent à constamment réguler sa cp14_1_vitesse, les précipices renforçant l’aspect délicat de cette descente. Il faut rester lucide, maîtriser sa vitesse, ne pas prendre de risques inconsidérés. Heureusement la chance sourit aux courageux, la pluie cesse en arrivant dans la vallée, la route devient sèche et la température remonte.

L'Aprica

Le cycliste est un être solitaire quand l’altitude s’élève mais il aime se regrouper dans les vallées lorsque la pente se fait moins rude. Les portions faciles jusqu’à Edolo permettent des alliances éphémères. C’est l’occasion pour chacun de souffler un peu, de se rassurer et de se motiver mutuellement.

 

aprica1
Le petit col qui suit, l’Aprica Pass (1181m), fait figure de pont d’autoroute avec ses 15km pour 500m de dénivelée. On se surprend à tirer du braquet, à mettre « la plaque » de temps en temps, c’est bon pour le moral. On en profite pour à nouveau se dévêtir et se ravitailler de manière consistante, les sandwichs et autres cakes maison sont bien appréciés. Le sommet de ce col correspond en fait à la station de ski d’Aprica, c’est l’occasion de reprendre contact avec la civilisation. Des touristes s’agitent un peu partout, regardant passer ces cyclistes parfois d’un air amusé, deux mondes différents se croisent, mais les concurrents de la RATA sont déjà sur une autre planète,  ils deviennent hermétiques à l’environnement extérieur, le temps est en train de se figer pour eux.

 

 

 

174240_2_Une belle descente reposante de 15 km mène à Tresenda, suivie de 9 km de ligne droite pour rejoindre Tirano , seule portion réellement plane du parcours, c’est également le point le plus bas avec 380m d’altitude. Nos trois hommes forts du Gavia précèdent un petit grupetto où l’on retrouve quelques têtes connues avec l’allemand Dieter Kleiser, les autrichiens Horst Turnovsky et Gérald Bauer, et les deux français Yves Chizelle et … bibi.
A la sortie de Tirano une méchante bosse réveille tout le monde, mais les esprits sont déjà un peu plus loin, inquiets, les regards scrutent au loin pour apercevoir ce panneau Mazzo di Valtellina où il va falloir tourner à droite et se confronter au fameux Mortirolo.

 

 

 

Le Mortirolo

mortirmOn a beau avoir été prévenu, choisi les braquets en conséquence, une fois franchi, le Mortirolo ne peut inspirer que du respect. C’est 12 km de pur délire qui attendent le cycliste pour se hisser à 1852 m. Si les deux premiers kilomètres ne sont pas renversants avec des pentes de l’ordre des 8/9%, la suite ne peut pas laisser indifférent. Pendant 6 km la pente ne descend plus sous les 11%, de nombreux passages atteignent 14%, voir 18% par endroits. Plus que jamais la clé de la réussite repose sur la patience, il faut se résigner à utiliser des braquets que l’on n’oserait pas avouer à ses camardes, et accepter de ne voir plus qu’un chiffre avant la virgule sur son compteur. L’effort atteint son apogée sur les pentes du Mortirolo, les concurrents doivent se livrer à 100% et la cp16_1_RATA y prend un nouveau sens. La forêt est  dense et omniprésente durant l’ascension, il s’y dégage une ambiance presque trop calme voir pesante, le cycliste redevient solitaire. Les plus frais parviennent à continuer leur progression sans état d’âme, alors que d’autres, plus affaiblis, voient leurs forces décliner petit à petit. Avec seulement 9% de moyenne, les 3 derniers kilomètres libérateurs mènent « facilement » au sommet où se tient un poste de contrôle. 205 km ont été parcourus et 5300m de dénivelée avalée. Alessandro Forni dirige maintenant les opérations en pointant à 20h04, soit déjà 8h de route, vient ensuite Daniele Wyss à 20h05 qui semble trouver la bonne carburation, Paul Lindner accuse un peu le coup en passant à 20h10, quand à moi je suis plus qu’heureux en pointant à la 4e place à 20h18.


202728_1_C’est également à cet instant que la majorité des concurrents choisit de faire la première véritable pause depuis le départ. On s’accorde 5 à 6 mn pour s’asseoir, manger du consistant, se faire masser pour les chanceux, mettre en place l’éclairage. La fatigue commence à être réellement perceptible et pourtant la moitié du parcours n’a pas encore été réalisée. Les assistances sont aux petits soins pour leur coureur, si l’effort est individuel, la réussite est collective.

 

 

 

 

La descente est très rapide mais sans danger, elle nous conduit de nouveau à Edolo. Pour pouvoir goûter aux joies du Mortirollo, il fallait faire une boucle, ce qui signifie que l’on doit à nouveau gravir l’Aprica pass. Il va falloir admettre que l’on est un peu moins frais que tout à l’heure et grimper 1 ou 2 km/h moins vite, même si l’on peut s’amuser à remettre « la plaque » pour faire croire que…

Il est 21h 30 pour les touriste de la station d’Aprica, ils  regardent toujours passer les cyclistes, mais l’amusement laisse place à l’étonnement dans les regards : que font-ils à cette heure sur un vélo ? Où vont-ils ? Le genre de question qu’il ne faut plus se poser.

Il est temps d’allumer les éclairages pour la descente, d’autant plus que la circulation automobile est encore importante entre Tresenda et Tirano. La seconde partie de la RATA débute, celle de la nuit et du froid.

La Bernina

Au deuxième passage à Tirano, il faut bien veiller  à prendre la direction de la Suisse. Le col de la Bernina nous attend du haut de ses 2328m, avec ses 32km d’ascension etses 2000m de dénivelée. Dans la nuit le cycliste perd ses repères, la perception de la vitesse et des distances s’en trouve chamboulée. Son monde se réduit petit à petit au faisceau de lumière craché par les phares du véhicule d’assistance, ce qu’il y a après n’existe pas encore.

La montée est interminable, mais on a perdu depuis longtemps la notion du temps. Depuis combien de temps on monte? Une heure? Deux heures? Trois heures ? Impossible de répondre.

Une première section de 15 km nous a conduit du poste de frontière Suisse jusqu’à Poschiavo avec des pentes raisonnables.
bernina2La seconde section est plus corsée, oscillant entre 8% et 9% durant 17km. Daniel Wyss prend le dessus sur Forni, Paul Lindner faiblit et se laisse rattraper par ses poursuivants qui se sont à nouveaux éparpillés le long des pentes de la Bernina. Le froid devient vraiment sensible avec l’altitude et une petite pluie glacée commence à tomber. Celle-ci s’intensifie à l’approche du sommet et se transforme par moments en neige, il fait 2°. Il est minuit passé, le col de la Bernina connaît une vie nocturne assez étonnante. Des 223431_1_gens s’affairent autour de cyclistes, l’air un peu hagard, pour les aider à enfiler des affaires sèches. Certains optent pour le changement de la tête au pied, d’autres empilent les gore-rex et autre wind-tex, ils finiront tous par ressembler à des cosmonautes.

On s’élance au ralenti dans la descente, qui heureusement est large et sans réelles difficultés.
L’itinéraire contourne successivement Pontresina, St Moritz et Samedan. Comme par miracle la pluie a cessé, mais la température reste inférieure à 5°. On progresse à nouveau calmement dans la nuit, sur des routes relativement plates jusqu’à La Punt au km 327.

L'Albula

albulalLa prochaine difficulté se nomme l’Albula pass (2312m). Elle n’a rien d’effrayante avec 9,5 km et 600m de dénivelée, cependant la pente des 6 premiers kilomètres est assez forte avec 9% de moyenne. C’est le col de trop pour Alessandro Forni qui jette l’éponge à la sortie de La Punt, Daniel Wyss est maintenant loin devant. On évolue dans une ambiance particulière, passant d’un banc de brouillard à l’autre, tout est silencieux et lent. L’objectif immédiat est d’atteindre le sommet en grignotant hectomètres après hectomètres, on ne s’occupe plus des autres, seul compte ce satané mal aux jambes que l’on essaie d’apprivoiser à chaque coup de pédale. Paul Lindner est en perte de vitesse, je franchi le col en seconde position à 2h du matin, je n’en suis absolument pas conscient et de toute façon ma position dans la course à cet instant devient vraiment une donnée superflue.

La température oscille entre 1 et 2°, la montée s’est effectuée sans prendre la peine d’ôter les vestes et les gants, on peut basculer sans s’arrêter. Les paysages dans la descente sont paraît-il magnifique en plein jour. Dans la nuit noire il faut être extrêmement vigilant durant 25 km sur une route étroite, sinueuse et parfois chaotique. La principale difficulté consiste à ne pas sortir trop vite des virages pour rester dans le faisceau des phares de la voiture. Avec le froid l’engourdissement guette le cycliste, les freinages et les trajectoires deviennent moins précis, on en vient à attendre avec impatience la prochaine montée.


La Flüela

Un nouveau fond de vallée, l’altimètre indique 910m, le prochain col, la Flüela pass est à 2383 m. On ne veut plus gaspiller de forces à faire des calculs savants, de toute façon on sait qu’il va falloir grimper. Une première portion de 10km avec une pente régulière de 6%, plutôt agréable, nous conduit au village endormi de Wiesen. Après une courte descente, les 16 km suivants sont en faux plat montant jusqu’à Davos, on traverse un long tunnel où l’on se surprend à ralentir pour profiter, à l’abri,  de l’air un peu plus chaud. La longue traversée de Davos est monotone, la vie est encore en suspend à 4h du matin, bien que l’on puisse être surpris par une soudaine odeur de pain frais s’échappant d’une boulangerie, pour nous le 400e km approche. Il reste encore 150km et plus de 4000m de dénivelée, soit l’équivalent du grand parcours d’une belle cyclosportive montagnarde française où 75% des participants auront opté pour le petit parcours pour de multiples raisons.
Si Daniel Wyss a pris une sérieuse option sur la victoire, la lutte pour les accessits n’est pas encore terminée.

fluelaLe jour se lève tout doucement, psychologiquement le plus dur est fait, on se dit que plus rien ne pourra nous empêcher de rallier l’arrivée. Et pourtant à la sortie de Davos, la Flüela est là, elle attend tranquillement avec ses 14km entre 7 et 9% pour livrer son verdict. Les plus faibles et  ceux qui auront négligé leur alimentation vont zigzaguer. Le froid est à nouveau très vif et un petit vent souffle défavorablement, heureusement le ciel est dégagé.

Il faut aller chercher un peu plus au fond de soit pour trouver de l’énergie et maintenir055448_1_3 une vitesse acceptable. Le paysage est grandiose au petit matin mais on en vient à maudire ces ultimes lacets et ce col qui semble s’éloigner plus on avance. Pour moi la panne sèche est proche et la vitesse chute dangereusement. Au sommet, le suisse Samuel Nagel et les deux frères Turnovsky m’ont rattrapé et me laissent littéralement sur place dans la descente. Je ne suis plus assez lucide pour prendre les décisions qui s’imposent, il faudrait que je fasse une réelle pause pour m’alimenter copieusement et reprendre des forces, mais je continue comme un automate me laissant descendre sur Susch puis Zernez. Il est 5h 30, déjà 17h30 se sont écoulés depuis le départ.

L'Ofen

Vous en voulez encore ? On vous sert l’Ofen pass sur un plateau, à 2149m !cp19_1_2

J’ai rejoint Horst Turnovsky qui ne semble pas au mieux non plus, on a beau ne pas parler la même langue mais on se comprend tout de suite. Il semble me dire  « t’es cuit ? Moi aussi ça tombe bien ! Faisons un bout de route ensemble. »

Un regard, un sourire, les encouragements des assistances qui veillent et on se hisse tout doucement vers ce nouveau sommet. 22 km, très irréguliers, à patienter, où l’on apprécie enfin les premiers rayons de soleil de cette nouvelle journée. Le mental a pris le relais du physique pour nous faire avancer.
Horst à l'air déçu de ne pas avoir pu suivre son frère Gernot, il se laisse souvent descendre à hauteur de son véhicule d'assistance pour prendre des boissons chaudes et de quoi se ravitailler. Je regarde loin devant en essayant de deviner le cheminement du col, j'avance comme un automate, je n'entends plus rien. J'aurais du faire une vraie pause au sommet et pourtant je bascule sans réfléchir.

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13 km de descente en roue libre et nous voilà à Santa Maria à 1300m d’altitude, au pied du dernier morceau de bravoure de cette RATA .cp36_1_







L'Umbrail et le Stelvio

9_1_Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? La logique voudrait que l’on rentre à Nauders par la vallée, et bien non, on préfère repasser par le Stelvio au cas où l’on aurait pas bien tout compris la veille au premier passage. L’ascension s’effectue par le col de l’Umbrail (2502m), qui permet de franchir à nouveau la frontière italienne. Encore 13km à gravir pour 1200m de dénivelée, la pente est constamment soutenue, entre 9 et 11%, avec un umbrailpassage à 14%. On s’élève d’abord dans la forêt à flanc de montagne avec une belle succession de lacets, puis le long d’un magnifique vallon au milieu des alpages. Si je parviens encore à négocier honorablement la première partie, la seconde s’apparente plus à un pénible chemin de croix. Le compteur reste désespérément bloqué entre 8 et 9 km/h, je préfère ne plus lever la tête, pour ne pas voir ce qui reste à gravir. Je ne parviens plus à suivre Horst Turnovsky qui aurait bien aimé que l’on 074027_1_termine ensemble, mais j’ai atteint ma limite. Je suis planté avec mon 34/25 et mes roues de 650. Cependant malgré cette fatigue extrême et cette allure qui ne ressemble plus à rien, l’idée d’une quelconque contre performance ne m’effleure même pas. Je suis lessivé mais je suis heureux d’être là, je touche mon défi du doigt, je sais que plus grand-chose ne pourra m’empêcher de rallier Nauders. Il faut avancer, avancer, avancer…

Voilà le sommet de l’Umbrail, je vais pouvoir savourer 300m de descente, mais un
cp42_1_ regard à gauche permet d’apercevoir le cheminement des trois derniers kilomètres tout en lacets jusqu’au Stelvio. Horst est déjà loin devant, j’ai l’impression qu’il s’envole quand je compare son allure à la mienne. Je croise quelques cyclos italiens légèrement vêtus qui redescendent du sommet, ils me regardent l’air intrigués et étonnés, je dois faire peur à voir à cet instant d’autant plus que j’ai gardé la grosse veste d’hiver, les jambières et les sur-chaussures.  Il est 9h, je suis enfin au sommet du Stelvio, il m’aura fallu 1h40 pour ces 16,5 km d’ascension.
Il vaut mieux que je m’accorde une vraie pause avant d’aborder la descente sur Prad. On me tend un bol de gâteau de riz, un deuxième,  à la vue de ce que j’englouti, je me rend compte que je suis complètement affamé !! Avec la fatigue on en vient à ne plus trop bien comprendre les signaux de son corps, je n’avais plus aucune sensation de faim alors que mon estomac criait famine et à ce stade les besoins énergétiques du corps sont phénoménaux. J’ai même réussi à ne plus entendre Laure et Dominique qui insistaient fortement pour que je m’alimente.

Le Reschen

Je me sens un peu requinqué pour négocier cette dernière descente. Et quelle descente !! Il va falloir ne pas commettre de fautes dans cette incroyable succession de lacets qui avait ouvert les hostilités hier, sur le versant Est du Stelvio. Surtout rester concentré, maîtriser sa vitesse, se détendre, anticiper…

cp45_1_Me voilà de nouveau à Prad, soulagé car tout c’est bien passé. Je profite de 6km relativement plat jusqu’à Glurms. Depuis le départ on le sait, la RATA ne sera vaincue que lorsque l’on aura franchi l’ultime obstacle. Le Reschen pass qui était si plaisant à descendre hier vent dans le dos va être un peu plus douloureux aujourd’hui dans l’autre sens et vent de face. 600m de dénivelé et 12 km pour revoir le lac de Resia et la frontière autrichienne. Ce n'est pas grand-chose, mais c’est suffisamment dur pour avoir mal une dernière fois, c’est suffisamment long pour se rendre compte qu’on est en train de réussir ce « truc » complètement inutile mais qui nous tient tant à cœur. On a hâte d’en terminer, cependant on savoure cet instant où l’on est complètement lessivé et heureux.
«Quand tu atteindras les éoliennes ça sera fini ».

Elles sont là ces éoliennes, au pied du petit barrage qui indique le début du lac de Resia. Il me reste 10km tout plat le long du lac pour atteindre la frontière, et 5km en légère descente pour arriver dans Nauders. Je profite de l’instant présent, il est rare, jamais je n’avais connu une telle satisfaction intérieure sur un vélo. Je me surprends à accélérer et pourtant je voudrais ralentir le temps pour ne rien perdre de ce que je suis en train de vivre.

Nauders approche, l’émotion aussi. Tout se bouscule dans ma tête, il va falloir img_2340_1_reprendre contact avec la réalité, déjà plus de 23h que je suis paumé dans ma bulle…voilà la voiture d’organisation qui vient à ma rencontre. On a le droit à une arrivée sous escorte dans la rue qui mène à la petite place de Nauders . Les derniers mètres… les applaudissements … l’arrivée se fait directement sur le podium. C’est fini. Je suis heureux comme un gamin.

Dominique, Huguette et Laure me rejoignent, sans eux rien n’aurait été possible. Merci à vous trois, Dominique pour sa grande générosité en donnant un peu de son temps et de son expérience à un débutant sur cette112903_1_ épreuve, Huguette pour avoir enduré tout ça, Laure pour m’avoir supporté dans tous les sens du terme pour que je puisse en arriver là.   



Et Après la RATA?      

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Commentaires
M
Henry, le contrôleur, dormait comme un bébé dans la montée de la Bernina, à côté de moi, dans la voiture conduite de mains de maître par Laure. Je me souviens avoir passé la nuit à admirer le rythme impeccable des jambes sur le vélo, dans le faisceau lumineux des phares de la voiture.<br /> Que d'émotions! Dominique était en Amérique, dans les bras de Morphée et je suis encore sur la RATA.<br /> Demain je lirai la suite: "La Flüela". Huguette
P
Bravo pour la performance (même si cela semble avoir été très dur sur la fin), le récit, les photos. Et en plus il y a même les profils des ascensions !! Utile pour ceux qui (comme moi)aimeraient participer à cette référence qu'est la RATA.<br /> Bonne saison 2006<br /> Philippe
P
Les horizons gagnés sont vraiment les plus beaux<br /> Merci pour le récit de cet itinérance cyclomontagnarde.
P
C'est à la lecture de ce genre de récit que l'on apprend l'humilité. Que l'on apprend aussi à rêver, même si le rêve peut paraître inaccessible.<br /> En lisant ton récit Hugues, j'ai l'impression de me retrouver comme le petit gars un peu enrobé que j'étais vers 10 - 11 ans; un p'tit gars qui ne perdait pas une miette des étapes de montagne du Tour de France; un p'tit gars qui se disait que lui aussi un jour il grimperait jusque là haut...<br /> Merci de me faire encore rêver.
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