Goletto di Crocette, Giogo di Bala, Croce Domini: un itinéraire au bout du monde.
Connaissez-vous le Goletto del Crocette, le Giogo di Bala? Ces drôles de noms cachent une formidable ascension à plus de 2000m hors du temps, hors des sentiers battus, une aventure originale aux confins de la route et du VTT. Après les Dolomites, il nous restait quelques jours de vacances à exploiter, après un examen minutieux de la carte, j'avais envie de découvrir un secteur à l'Ouest du Lac de Garde, à la limite du Trentin et de la Lombardie. A proximité des hauts massifs de la Brenta et de l'Adamello, le lac d'Idro est un coin idéal pour passer un séjour au calme. L'amateur de belles grimpées cyclistes sera comblé avec la présence de quelques cols redoutables proposant des dénivelées impressionnantes. Les passo Croce Domini et Maniva focaliseront rapidement l'attention des baroudeurs, mais en creusant en peu plus on découvrira qu'il est possible d'effectuer une traversée mettant en relation ces deux cols en partant d'Anfo, avec le passo della Spina en entrée, et en passant par le Goletto di Crocette et le Giogo di Bala tous les deux à plus de 2000m.
C'est en faisant des choses pas très raisonnables que l'on se forge les meilleurs souvenirs, ce tour en est la parfaite illustration. Cette boucle de 84 km devait être vite expédiée, il m’aura fallu plus de 4h pour en venir à bout. Des surprises, de l'improvisation et la découverte d'un environnement hors du commun, voilà les composantes de cette petite balade originale.
Tout commence au départ de Ponte Caffaro, petite bourgade au nom plein de poésie, sur les rives du lac d'Idro. Durant 10km en montagnes russes, la route domine le vaste bassin gagné progressivement par la lumière matinale. L'ascension débute à l'entrée de la localité d'Anfo, décollage immédiat pour une autre planète, nous quittons la civilisation pour une poignée d'heures. D'entrée de jeu le ton est donné, la route étroite s'élève brutalement à l'assaut d'un versant de montagne généreusement boisé et escarpé. L'effort est soutenu et il est parti pour durer compte tenu de la topographie du terrain. Le cycliste s'aventurant sur cet itinéraire n'aura plus aucun répit durant 11,5 km à 8,7% de moyenne même si des lacets permettent des micros récupérations sur quelques mètres, d’autant plus que la rugosité de la route ne facilite pas la tâche. La montée est ponctuée par de beaux de points de vue sur la vallée qui s’éloigne et le lac d’Idro.
Au passo della Spina (1521m), un changement radical s'opère. La pente se fait plus douce alors que l'ambiance prend une tonalité plus montagnarde. La route évolue sur une corniche impressionnante où le regard embrasse au loin un vaste horizon fait de montagnes à perte de vue. Un tunnel rustique au revêtement incertain marque l’amorce d’une légère descente, à partir de ce point tout se complique, le bitume laisse la place à une piste caillouteuse. Je n’ai pas réellement envie de faire demi-tour alors je jette un coup d’œil sur la carte qui m’indique que je n’ai pas long à parcourir pour rejoindre le passo del Maniva où la route semble en meilleur état. Je négocie prudemment cette portion non goudronnée avec optimisme tout en gardant un œil attentif sur ma trajectoire pour éviter ornières et pierres qui roulent. 2km plus loin je retrouve avec plaisir le bitume mais la pente se redresse brusquement pour atteindre une belle moyenne de 9,2% durant 2,5km. La végétation se résume maintenant au strict minimum, la forêt a laissé la place à des arbustes éparpillés sur des pelouses escarpées. Vers 1700m la pente marque une pause, la route franchit un éperon rocheux et bascule sur un autre versant de la montagne dévoilant un spectacle de toute beauté. Face à moi, un vaste massif montagneux à l'aspect lunaire bouche l'horizon, je comprends rapidement qu'il va falloir franchir ce massif pour poursuivre mon itinéraire.
Avant d'en arriver là, une descente en pente douce de 3km doit me conduire au passo del Maniva (1664m), une récupération appréciable mais c'est sans compter l'obstacle qui m'attend au détour d'un virage. Un éboulement bloque totalement le passage sur une cinquantaine de mètres, l'idée de faire demi-tour ne m'effleure même pas, après étude du terrain j'enfourche le vélo sur l'épaule et franchi l'obstacle en équilibre et en chaussettes: les cales speedplay n'étant pas encore adaptées pour franchir un éboulis!
Au passo del Maniva je récupère la belle route attendue, l'ascension est cependant loin d'être terminée car il reste encore plus de 6km à 7,5% de moyenne avec quelques portions redoutables à plus de 10%. Le décor devient lunaire, voir surréaliste, perdu entre ciel et terre, seul au monde sur mon bout de montagne.
Altitude 2070m, cela fait déjà 27km que je grimpe et 1700m de dénivelée positive ont été avalées. Je suis au point nommé Goletto di Crocette sur la Carte et je suis sidéré devant le spectacle que je contemple. Des montagnes s'étalent à perte de vue, l'impression d'être isolé du reste du monde est totale. Cette sensation de solitude inquiétante est renforcée par la présence d'une vieille base d'observation militaire abandonnée. Deux antennes radars délabrées complètent le tableau lunaire, aujourd'hui je pourrai dire: "j'ai roulé sur la lune!"
Dernière surprise, avec 2162m le Giogo di Bala marque le point le plus haut de cet itinéraire spectaculaire et le début d'une nouvelle section non asphaltée. A ce stade le désir de poursuivre ma route a pris le dessus et, de toute façon, rien que l'idée de franchir l'éboulis en sens inverse m'ôte l'idée de faire marche arrière. Les 9 km qui suivent sont à mi chemin entre le VTT et la route: entre portions roulantes en terre battue, portions casse gueules caillouteuses et boueuses, il faut faire preuve de pas mal de sang froid pour rester sur le vélo. Je me payerai le luxe de rattraper deux VTTistes surpris par la présence d'un "routard" en de tels lieux. Si l'exercice est original, le plaisir est total, je me rends compte que les qualités de stabilité du RZWO dépassent toute mon imagination. 9km d'un autre temps où les images des forçats de la route héritées de l'histoire du Tour de France envahissent mon esprit.
Passo Croce Domini (1862m), retour sur la terre ferme, fin de l'épisode cyclo-cross, un coup d'oeil sur le compteur me confirme que la moyenne est minable, mais la satisfaction qui m'envahit est le signe que je me suis éclaté. La descente sur le lac d'Idro sera comme un sas de décompression pour revenir à la civilisation.