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Unlimited Miles
2 août 2007

La Pierre Jacques en Barétous : retour vers un cyclosport authentique.

Photo_020_1_Pourquoi vouloir faire le trajet Grenoble - Aramits (Pyrénées atlantiques), 1526km aller retour selon Viamichelin, en plein week-end de chassé croisé entre juillettistes et  aoûtiens? Cette question mérite d'être posée en cette période estivale où l'activité dominante consiste à disserter sur les "performances contemporaines" (expression empruntée à JC Massera) de Terminator et de Robocop sur les routes du tour de France. La réponse n'a absolument rien de rassurant : nous allons traverser le sud de la France d'Est en Ouest pour faire une cyclosportive, mais pas n'importe laquelle, il s'agit de "la Pierre Jacques en Barétous". Qu'est-ce qu'une cyclosportive, qu'est ce que le fameux esprit cyclosportif dont tout le monde se réclame? Ce sujet a longtemps été débattu et enflamme encore souvent les différents forums de discussion sur le net. Les actes du premier congrès national du cyclisme de loisir (décembre 2004) définissent une cyclosportive  comme "un événement cycliste de masse et d'endurance, comportant la mesure des performances individuelles et l'édition de classements". Cette définition recouvre différentes réalités qui suivant les individus prendront plus ou moins d'importance.

-"Un événement cycliste de masse": la masse a quelque chose de rassurant, la masse valide un choix effectué en amont, participer à un grand succès populaire est réconfortant car cela  vous intègre dans la norme.

-"La mesure des performances individuelles" : cet aspect joue un grand rôle dans le succès des cyclosportives. L'un des premiers réflexes du cyclosportif une fois la ligne franchie c'est de regarder son temps  et sa moyenne sur le compteur. Gare à l'organisation qui éditerait un diplôme annonçant une moyenne moins optimiste à ce qu'annonce l'électronique embarquée du cyclosportif. Mesurer sa performance permet de s'évaluer par rapport à la masse, de quantifier combien de temps nous a collé le premier (admiration, jalousie, suspicion), et surtout de se rassurer en regardant combien on a collé aux plus faibles que soit.

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-"L'édition de classements": il faut voir l'émeute à l'heure où sont affichés les classements sur une cyclosportive, comparable parfois à l'ouverture des grands magasins parisiens le premier jour des soldes.  Le verdict du classement est parfois terrible, il établit une véritable hiérarchie entre les cyclos qui répond à la question "qui est meilleur que qui?"

-"Un événement cycliste d'endurance": cette dernière composante de l'alchimie cyclosportive est en souffrance actuellement alors qu'elle est à l'origine du mouvement cyclosportif. Le cyclosport est gagné par un format de consommation rapide où l'on fait la part belle à la performance sur un terrain de jeu archi aseptisé et balisé. L'aventure et la découverte dans l'effort se délitent au profit d'une pratique banalisée et rapide. Le format cyclosportif idéal fait 130 km et représente dans les 3h30/4h30 d'effort pour la masse. Exception à la règle: seule l'identification à un mythe (l'Etape du Tour, la Bernard Hinault), ou la validation d'un succès populaire (Ardéchoise, Marmotte), pousseront le cyclosportif moderne à s'aventurer sur plus de 200km et accumuler les heures d'efforts.

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Les vaches de "La Pierre Jacques"

Heureusement il existe une petite poignée d'irréductibles qui ne cèdera pas à la pression d'une pratique cycliste version "fast food",  convaincus que le cyclosport version longue a encore une raison d'exister. Avec 168km et 4100m de dénivelée "La Pierre Jacques En Barétous" est une pépite dans le calendrier cyclosportif français. Merci à Alain MIRAMON et à toute son équipe de bénévoles pour cette organisation impeccable et conviviale qui permet chaque année à quelques centaines de cyclosportifs de connaître l'ivresse des grandes virées montagnardes. C'est pour soutenir ce cyclosport authentique et généreux que nous avons traversé la France en ce week-end de fin juillet.

 

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La découverte d’un terrain de jeu méconnu.

L'épreuve est nommée ainsi en hommage à Pierre Jacques Tillous, personnage cycliste local emporté trop vite à l'entraînement, exemplaire pour son engagement et son implication sportive. Au départ d'Aramits, un petit village de 600 habitants, "La Pierre Jacques" nous offre l'opportunité de découvrir la vallée de Barétous. Cette vallée, au caractère pastoral prononcé, possède une forte identité culturelle avec l'influence du Pays Basque, de la Navarre et du Béarn,  sans oublier l'omniprésence des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Le massif de la Pierre St Martin constitue un atout sérieux pour séduire les amoureux du vélo sous toutes ses formes. Que vous soyez contemplatifs, sportifs, les deux à la fois, le col de la Pierre St Martin propose sept voies d'accès différentes avec chacune son lot de surprises et de litres de sueur à déverser pour en venir à bout. Elles ont en commun une longueur, une dénivelée et des pourcentages à faire pâlir des cols alpins et pyrénéens plus connus. Les esprits tordus pourront imaginer des enchaînements diaboliques, d'autant plus que la proximité du terrible  port de Larrau ouvre des possibilités encore plus vastes.

   

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le massif de la Pierre St Martin

Le grand parcours de "La Pierre Jacques en Barétous" offre ni plus ni moins la possibilité de découvrir 3 versants de la Pierre St Martin. Les petits braquets seront de rigueur car ceux qui ont tracé les routes dans le coin n'ont jamais imaginé un seul instant que de passer sans transition d'une pente de 3% à 15% pouvait faire mal aux jambes.

   

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au sommet du col du Soudet

Souvent arrosée lors des éditions précédentes, "La Pierre Jacques" a trouvé une nouvelle place sur le calendrier en émigrant du dernier week–end d'août au dernier week-end de juillet. Le choix s’avère judicieux car c'est un soleil à peine voilé qui accueille les quelques 300 participants sur la ligne de départ à Aramits en ce samedi 28 juillet. En plus de l’attrait de son parcours, « la Pierre Jacques » était pour moi l'occasion de participer à la Patrouille Cyclo identifiable par son maillot vert. Il s'agit d'un groupe de cyclistes volontaires et engagés, issu du mouvement ECO CYCLO, qui ont pris part à quelques épreuves cyclosportives du calendrier 2007 afin d'inciter au comportement éco-citoyen, attitude fondamentale qui fait maintenant partie des enjeux prioritaires de notre époque.

 

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cherchez le maillot vert

Turbo - Diesel

La journée débute en douceur par 3km neutralisés entre Aramits et Arette, la mise en route est agréable avant le déclenchement des hostilités. A peine sortis d'Arette, les premières attaquent fusent pour faire exploser le peloton, rapidement une vingtaine d'hommes s'isolent à l'avant pour aborder l'ascension du col du Soudet. Les choses sérieuses débutent au lieu-dit bien nommé "la Mouline", le grand plateau est vite oublié pour aborder les premières rampes du col où un panneau annonce une pente à 15%. Très rapidement le rythme cardiaque s'affole, les jambes brûlent, il faut s'accrocher pour rester au contact de son groupe, d'autant plus que la séance va durer 14,5km jusqu'au sommet. La route du Soudet s'élève rapidement dans un cadre forestier où les vaches divagantes sur la route peuvent créer la surprise. Le revêtement de très bonne qualité contribue à adoucir la difficulté. Avec le temps clair que nous avons ce matin, la vue se dégage sur la station de la Pierre St Martin dans le final de l’ascension. L'effort est soutenu mais j'essaie de ne pas perdre une goutte de ce spectacle. Contrairement à mes dernières participations cyclosportives, l'Arvan Villard et les 3 Ballons, je parviens à rester au contact des hommes de tête, c'est la bonne nouvelle du jour, l'effet diesel RPE/RATA commence à s'estomper.

 

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les hommes de tête au Soudet

La première descente s'effectue par le versant ouest du Soudet, via Ste Engrâce. Elle est menée tambour battant sur une petite route réclamant de la vigilance, nous ne sommes pas à l'abri d'une vache errante ou d'une bouse fraîchement déposée qui se révèlerait pire qu'une plaque de gravier. Un homme a pris la fuite à plus de 80 km/h, méconnaissant totalement le terrain, j'assure à l'avant du groupe en gardant le fuyard en point de mire. De retour dans la vallée, le groupe tarde à s'organiser, je pense à me ravitailler, notre homme creuse. Nous avons 12km de transition en montagnes russes avant la prochaine difficulté, nous traversons les communes de Laguinge-Restoue, Tardets-Sorholus et Montory, toponymie surprenante pour quelqu'un qui vient des Alpes. L'entente n'est pas au beau fixe dans le groupe, on observe 4 types de stratégies:
- Je me planque dans les roues pour économiser mes efforts en vue du final,
- Je gueule sur tout ceux qui ne relaient pas car je suis pressé de revenir sur l'homme de tête,
- Je suis également pressé de revoir l'homme de tête, mais je n'ai pas envie d'attendre mes petits camarades, donc je pose une mine,
- Je fais ce que je peux!

 

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la descente sur Ste Engrace

Le brouillard d’Issarbe

Photo_052_1_Pas le temps de réfléchir, nous tournons rapidement à droite pour attaquer la prochaine difficulté: le Col d'Issarbe. S’il y avait en France un classement des cols vaches, celui-ci serait en bonne position.  L'ascension débute par un faux plat de 7km, jusqu'à Barlannes, les organisateurs ont positionné judicieusement un ravitaillement à cet endroit car il va falloir des cartouches pour la suite. Sans crier gare Issarbe vous piège,  à la sortie de Barlannes un enchaînement terrible de raidars vous ramène à la dure réalité de l'acide lactique qui brûle les cuisses. Il reste 10km à gravir pour 900m de dénivelée positive, en plus d'être soutenue, la pente se caractérise par des ruptures meurtrières pour celui qui chercher à monter au train.  L'ambiance ensoleillée du matin a laissé place à des bancs de nuages qui engloutissent petit à petit les montagnes. Nous évoluons maintenant dans une atmosphère fraîche et humide sur une route tout en lacets. A l'approche du sommet le brouillard s'intensifie, j'essaie de deviner le cadre qui nous entoure, en scrutant les alentours il semblerait que la forêt ai laissé la place à des prairies d'altitude. Un peu à la peine, j'ai dû laisser filer les hommes de têtes, mon côté gros diesel a repris le dessus. Au sommet d'Issarbe, je pointe à environ 2mn, rien n'est encore joué. Une courte descente dans le brouillard nous ramène sur la route de Ste Engrâce emprunté en sens inverse tout à l'heure. Le parcours de "La Pierre Jacques" est résolument montagnard car nous devons repasser au col du Soudet, soit environ 4,5km d'ascension à 8% de moyenne. J'effectue cette montée seul dans le brouillard, j'apprécie énormément cette sensation d'isolement dans l'effort, renforcée par une visibilité nulle. Incapable de reconnaître les lieux traversés il y a à peine deux heures, je bascule en tirant simplement les manchettes, malgré l'humidité ambiante, l'atmosphère reste douce.

 

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dans les lacets d'Issarbe

3 cols sinon rien.

Photo_061_1_Le Soudet est un véritable bonheur à descendre, l'ivresse de la vitesse sur cette route large se conjugue avec des courbes esthétiques. Mon RZWO se régale, et moi aussi. Le retour dans la vallée signifie qu’il va falloir pédaler, je temporise l'allure, ce qui permet le retour d'un concurrent espagnol avec lequel je vais bien m’entendre. L'union fait la force entre Arette et Lourdios, nous relayons à un bon train et à notre grande surprise nous apercevons en point de mire le groupe de tête au pied de l'ultime difficulté du jour: le Col de Labays. Ce col anodin sur la carte se révèle réellement surprenant. Une route défoncée et étroite se fraye un cheminement aléatoire d'abord dans des gorges encaissées, puis dans une forêt digne des films d'épouvantes. Ce décor sauvage et inhospitalier donne l'impression d'atteindre le bout du monde. Il nous reste 17km à grimper pour environ 1000m de dénivellation. Si la pente moyenne n'est pas impressionnante, elle masque néanmoins des portions redoutables à 10% et plus. Le terrain est idéal pour une dernière explication musclée.

Dans les premières pentes de Labays je plafonne à quelques encablures du groupe des 8 hommes de tête qui est en train de se disloquer. Je tarde un peu à faire la jonction sur 4 concurrents qui se font décrocher sur les accélérations des costauds du jour, je ne reverrais jamais les 4 premiers. La suite de l'ascension se gérera en fonctions des accélérations des uns, des coups de moins bien des autres, le tout sous les encouragements de Laure métamorphosée en Team Manager pour l'occasion. Je suis dans un bon jour, le jeu des chaises musicales pour la 5e place tourne en ma faveur dans le final de Labays. Rien de réellement glorieux, mais j'éprouve une certaine satisfaction à avoir pu effectuer cette cyclosportive à un rythme qui était devenu inhabituel pour moi ces derniers temps.

   

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du côté de Lourdios

Le sommet franchi, il ne reste plus qu'à foncer une deuxième fois dans la descente du Soudet et rallier Aramits le plus vite possible pour éviter un éventuel retour de l'arrière. Je me la joue allure contre la montre pour terminer cette "Pierre Jacques", je n'ai jamais été bon dans cet exercice mais aujourd'hui je me la pète sur le 54 dents.

   

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le final du col de Labays

   

La ligne d'arrivée est franchie avec la satisfaction éphémère d'avoir produit un effort intense. Terminer une épreuve Ultra vous propulse dans un état de bonheur qui se prolonge sur la durée, terminer une épreuve cyclosportive en bonne position n'a rien de comparable, le plaisir est bien là mais il s'évapore rapidement, comme si le bien être procuré par l'effort était proportionnel à sa durée.

 

La Pierre Jacques en Barétous est une belle expérience cyclosportive qui renvoie les participants à la notion fondamentale d'un cyclosport authentique, à savoir un parcours qui propose un réel challenge d'endurance dans un cadre exceptionnel. Merci à ceux qui croient encore à cette conception du cyclosport et qui se battent pour que ce genre d'épreuves trouvent leur place dans le calendrier.

 

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L'espagnol Patxi Iriarte Bazterra produit son effort

et s'envole vers la victoire de la Pierre Jacques

Photo: Laure RICO
Le site de l'épreuve: http://www.lapierrejacques.com/

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Commentaires
D
cela donne vraiment envie d'y participer, moi qui ne connais pas (trop) les pyrénées, en tous cas bravo à vous deux!
P
Bravo pour cette belle cyclo !<br /> Le récit pationnant est une fois de plus illustré par de superbes photos. Merci à Laure.<br /> <br /> Belle performance !<br /> <br /> A+<br /> Pascal.
C
Vraiement à la lecture de ce compte rendu et à la contemplation des photos je n'ai que plus de regrets de n'avoir pu (genoux gauche rendu "cagneux" par des chutes successives dont la dernière à l'EDT...) participer à cette cyclo.<br /> <br /> Ca n'est que partie remise pour l'année prochaine.<br /> <br /> En tous cas vos compte rendus sont fort utiles à ceux qui, comme moi, n'ont pas pû participer.
C
Vraiement à la lecture de ce compte rendu et à la contemplation des photos je n'ai que plus de regrets de n'avoir pu (genoux gauche rendu "cagneux" par des chutes successives dont la dernière à l'EDT...) participer à cette cyclo.<br /> <br /> Ca n'est que partie remise pour l'année prochaine.<br /> <br /> En tous cas vos compte rendus sont fort utiles à ceux qui, comme moi, n'ont pas pû participer.
P
En 2004 avec Jean Michel Hurter, Alain Miramon nous avait gentillement hébergé pour la Larra Larrau, une cyclo à l'image de cette Pierre Jacques où le dépaysement et l'esprit cyclosportif ne font qu'un. <br /> <br /> Comme d'hab, les photos de "Madame" et les textes de "Monsieur" sont un pur bonheur ! Surtout continuez, ça fait tellement du bien ;-)
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