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Unlimited Miles
18 septembre 2007

Au cœur des "Monts Pales".

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le massif du Sassolungo, vu du passo di Sella, versant Canazei.
   

Chocolat ou Crème de marron ? Cette question vitale que je me pose souvent  ressemble curieusement au dilemme auquel je suis confronté ce matin. Je suis devant la carte, une multitude de cols à plus de 2000m me tendent les bras, et je ne sais absolument pas quel itinéraire choisir. Les possibilités sont immenses, Sella, Gardena, Pordoi, Fedaia, Giau… comment se décider ? Je voudrais tous les gravir dès le premier jour, et pourtant je dois faire une sélection si je veux éviter l'inflation de dénivelée positive et le retour à la maison à la lampe frontale.

Nous avons établit notre camp de base pour une semaine à Selva di Val Gardena, Wolkenstein en allemand, en plein cœur des Dolomites dans la prestigieuse vallée  de Val Gardena. Elle doit sa renommée et sa prospérité au nombre de ses hôtels, de ses sentiers de randonnée et de ses pistes de ski de très haute qualité, intégrant le domaine Dolomiti Superski (1200km de pistes), qui font du Val Gardena la Mecque du ski en Europe. Géographiquement, Val Gardena (Gröden en allemand, Gherdëina en ladin) s’étire de l’Alpe di Siussi jusqu’au Sassolungo au sud, et au massif des Odle au Nord, pour finir contre le Sella. Ortisei (St Ulrich en allemand) est la plus grande ville de la vallée, dont la fortune est étroitement liée à l'exploitation des pistes de ski qui l’on transformée en ville d’hôtels.

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Selva di Val Gardena au petit matin

 

Le Val Gardena est célèbre pour sa descente de la Coupe du Monde de ski qui se déroule à Santa Cristina d’une part, et pour la sculpture sur bois d’autre part, une tradition séculaire à laquelle se consacrent les artisans de toute la vallée. Témoin de cette activité, le nombre impressionnant de boutiques et d’ateliers qui parsèment les bourgs du Val Gardena.

Selva se trouve au bout de la vallée, presque adossé au massif du Sella. Ses environs offrent un spectacle grandiose, comme le Sassolungo et les Odle qui semblent écraser la ville. Au nord du village, sont encore visibles les restes du château de la famille Wolkenstein  remontant au XIIIe siècle. Les comtes Wolkenstein propriétaires du château, jouissaient de remarquables droits de domination dans toute la région du Tyrol.

Le ciel est clair en ce début de matinée, nous avons prévu chacun notre itinéraire, Laure et moi, en fonction de nos possibilités et de nos envies, nous  nous tiendrons au courant de nos positions par portable. Le choix de l'équipement vestimentaire est délicat, Bertrand m'a prévenu: dans les Dolomites ça se gâte souvent l'après midi. Tant pis pour l'allure sportive, les poches sont déjà remplies par le ravitaillement, l'appareil photo, le portable et quelques affaires chaudes, j'accroche le gore-tex au guidon. Ça fait "pimpin" pour un coureur, mais l'avenir me prouvera que c'est le bon choix.
    

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le K-way au guidon du RZWO, accessoire non homologué UCI!
   

Dimanche 19 août : des cols, des cols, des cols…. 137km, 4200m de dénivelée.

Départ matinal, enfin pas trop quand même, il est 10h environ lorsque nous nous élançons à l'assaut de ce nouveau périple truffé  des grands cols dolo-mythiques. Le programme va être pentu, attention les yeux ça va arracher!
   

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Le passo di Sella (2244m) pour s'échauffer.

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le Sassolungo visible durant toute l'ascension du Sella n'ose pas se dévoiler
 

Pour rentrer dans l'univers des Dolomites, rien de tel que le Sella. En plagiant une expression utilisée par le Guide Michelin, si il existe des cols qui valent le détour, le passo di Sella vaut le voyage à lui tout seul. Dans un cadre extraordinaire où l'esthétisme et la verticalité des sommets rivalisent avec le vert des prairies, le Sella est l'un des plus anciens axes de circulation pénétrant au cœur du massif. Il  nous offre des points de vue admirable sur le Gruppo di Sella dominé par le Piz Boè (3152m) sur notre gauche et le Sassolungo (3181m, littéralement pierre longue en italien, langkofel en allemand) sur notre droite. Lorsque vous escaladez pour la première fois le Sella, il est impossible de ne pas rester scotché devant ce spectacle admirable façonnée par la nature, c'est les yeux grand ouvert que l'on pédale pour ne pas en perdre une goutte L'ascension depuis Selva reste raisonnable avec 9km à 7,1% de moyenne. À mi pente au lieu dit Plan de Gralba, une bifurcation nous oblige à choisir entre le Sella et le passo di Gardena. L'envie de faire les deux me titille, mais j'ai prévu de faire le Gardena dans l'autre sens pour revenir.
   

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le refuge du Sella, en contre bas du col, toujours dominé par le Sassolungo
 
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la vue se dégage au Nord


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les derniers hectomètres du Sella
 

Seul point noir à signaler: la circulation automobile qui constitue une véritable nuisance dans ce cadre idyllique. Grosses berlines, 4x4, camping-cars, cars, motards, se succèdent avec une telle densité qu’il n’est pas rare de se retrouver bloqué derrière une file de véhicules lors des croisements délicats ou des lacets serrés. Les Dolomites sont victimes de leur succès, il faudra éviter à tout prix le mois d’août si l’on projette de retourner un jour dans cette région.
 

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la descente sur Canazei

 

Le Sella met en liaison le Val Gardena avec le Val di Fassa reconnue comme l’une des plus belles vallées des Dolomites. D’origine glaciaire, elle s’étend sur une vingtaine de kilomètres et est entièrement vouée au tourisme. En saison, pour une population de 8000 habitants, on compte environ 5 touristes pour 1 habitant, je vous laisse imaginer l’affluence. Mon incursion dans le Val di Fassa sera de courte durée, car après les 9km de descente du Sella, dès l’entrée de Canazei, je bifurque en direction du passo di Fedaia.

Le passo di Fedaia (2057m), sur les pentes de la Marmolada.
 

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le massif de la Marmolada
   

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la belle route de la Fedaia
 

Cette belle ascension ne présente pas de grosses difficultés. Une première portion de 3,5km à 5% de moyenne est idéale pour remettre le moteur en route. A Alba di Canazei, la vallée se resserre comme un entonnoir, c’est là que débute une section plus raide de 4,5km à 7,6% de moyenne. Cet itinéraire est moins fréquenté que celui du Sella, ce qui le rend agréable à parcourir. Le décor est encore une fois résolument montagnard, avec l’omniprésence du massif de la Marmolada au Sud, le point dominant des Dolomites avec 3342m.  Le sommet du col est en réalité un vaste bassin artificiel, le lac de Fedaia, qui s’étend sur environ 3km et offre une vue panoramique. Il  recueille les eaux du glacier de la Marmolada qui contribuent à sa couleur virant du vert au bleu suivant la luminosité.
 

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le lac artificiel de la Fedaia, le glacier de la Marmolada au fond.
   
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La couleur de l'eau change suivant la luminosité
   
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Je poursuis ma route, toujours médusé par le spectacle et peu attentif à l’évolution de la nébulosité dans le ciel. La descente sur Caprile est carrément effrayante, la pente est tellement forte que si je lâche les freins j’atteints en un clin d’oeil les 80km/h. Je croise des cyclos en sens inverse qui semblent littéralement scotchés au bitume, de plus quelques véhicules sont arrétés au bord de la route pour refroidir leur moteur. Aucun doute n’est permis, ce versant de la Fedaia est une véritable boucherie, et comme le dit si bien Terminator : « Je reviendrais !! ».

    

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la descente vertigineuse

A mon grand étonnement, je me retrouve sur une route complètement trempée en arrivant à Caprile, un coup d’œil au ciel me confirme que la situation devient instable. Des gros nuages cumuliformes s’amoncellent au dessus des sommets alors que des averses se déclenchent de  façon aléatoire aux alentours. Peu importe, je poursuis mon parcours en direction du Val Fiorentina et les villages semblant tout droit sorti du passé de Colle Santa Lucia et Selva di Cadore. Accéder à cette vallée depuis Caprile se mérite car il faut franchir une méchante bosse de 7km à 6,5% de moyenne. Le paysage est fermé à l’Est par le Mont Pelmo (3168m), véritable emblème de la vallée, au Sud par le Mont Civetta (3220m) qui se dresse dans toute sa majesté, et au Nord par une longue série de montagnes que l’on peut franchir par le passo di Giau.

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Le val Fiorentina

   

Le passo di Giau (2233m), 29 lacets pour un col remarquable.

 

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sous le sommet du col di Giau

   

Troisième col de la journée, le Giau est redoutable. Si avec 10km la longueur est raisonnable, la pente peut poser problème avec 9,1% de moyenne. Le premier kilomètre à 11% possède le mérite d’annoncer immédiatement la couleur. Le reste de l’ascension se déroule dans un vallon assez encaissé où l’on prend rapidement de la hauteur grâce à une succession de 29 lacets faisant de ce versant un ouvrage d’art de toute beauté. Le Giau est considéré à juste titre comme le col dolomitique offrant le panorama le plus vaste et spectaculaire. Il se trouve au milieu d’une vaste brèche utilisée pour le pâturage,  dominé au nord-ouest par l’élégant piton de la Gusella, tandis qu’à l’est se dresse la majestueuse Croda da Lago avec la plaine sous-jacente des Lastoni di Formin. Encore une fois le spectacle est à couper le souffle, je suis à l’arrêt voulant prolonger cet instant, malgré le ciel de plus en plus menaçant. Je me décide quand même à basculer sur la vallée d’Ampezzo, 10km d’euphorie, de pointes de vitesses espacées de belles courbes et de lacets techniques. A Pocol, je quitte la direction de Cortina pour aborder les prochaines difficultés: les passo du Falzarego et Valparola.

   

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l'élégant piton de la Gusella

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le Giau se trouve au milieu d'une vaste brèche utilisée pour les pâturages

   

Le passo du Falzarego (2105m) / Le passo di Valparola (2192),  chantons sous la pluie.

   

Le col de Falzarego est depuis toujours l’un des plus fréquenté des Dolomites, il relie la vallée d’Ampezzo avec la vallée d’Agordina, la vallée de Livinallongo et la vallée de Badia. Il se présente comme une douce pente venant de Cortina, environ 12km à 5% de moyenne, une bagatelle pour un cycliste entraîné. Ma principale préoccupation du moment provient de cette petite pluie fine qui a fait son apparition, procurant cette désagréable sensation d’inconfort que l’on connaît lorsque l’on commence à être mouillé en montagne. Le cuissard qui devient humide, les chaussures qui commencent à faire « floc floc », qui n’a jamais ressenti cet instant de solitude quand la pluie fait son apparition et qu’on est encore loin de la maison ? Je me console en regardant le paysage qui n’a pas encore été avalé par les nuages, je me permets même un peu d’optimisme à la vue de quelques coins de ciel légèrement plus clair. Le Falzarego permet d’accéder au royaume magique des Tofanes, et d’accéder par Téléphérique à l’imposant Monte Lagazuoi qui domine le col. Ce mont fut l’un des théâtres de la Première Guerre Mondiale, les armées italiennes et autrichiennes se disputant son sommet et ses versants où elles bâtirent tranchées, galeries, et cheminements. Certaines galeries furent creusées et remplies d’explosifs avec pour objectif de détruire les emplacements ennemis, ainsi toute une partie du sommet fut abattu. Les vestiges de ces affrontements ont été restaurés et accueuillent aujourd’hui de nombreux visiteurs.

 

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une brève éclaircie sur le lagazuoi

L’ascension du Falzarego se poursuit au Nord-Ouest par le passo di Valparola. Il suffit de franchir un ressaut d’environ 1km assez raide avant de déboucher dans un vaste vallon qui marque le sommet du col. Il est difficile de décrire le paysage qui s’ouvre à l’improviste sous nos yeux : la route traverse une zone où d’énormes blocs calcaires sont éparpillés de manière chaotique, témoins d’importants éboulements survenus il y a des milliers d’années.

   

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photo prise furtivement sous la pluie

Normalement le panorama est fabuleux au Valparola, mais maintenant je ne vois plus grand-chose, la pluie se fait intense et je me décide à enfiler le gore tex pour négocier la descente vers la vallée de Badia. C’est sous des trombes d’eaux que je dévale prudemment les 12km de descente où des lacets étroits alternent avec de longues lignes droites. Je me méfie particulièrement car la route est rendue glissante par les taches de gas-oil, phénomène courant lorsque l’on est sur un axe fréquenté.

Arrivé à La Villa (Stern), l’inespéré se produit : les nuages se déchirent provisoirement pour laisser filtrer quelques rayons de soleil. La chance est avec moi, j’ai le droit à une accalmie et je fonce vers mon dernier col du jour : le Gardena.

Le passo di Gardena (2121m), avec la grêle c’est encore mieux.

   

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éclaircie provisoire

La Villa, Corvara, je traverse la Haute vallée de Badia (Alta Badia) à grande vitesse pour profiter de cette trêve météorologique. L’Alta Badia, une grande cuvette où les stations-villages ont su conserver un aspect tyrolien, est connu des cyclos comme étant le départ du célèbre Marathon des Dolomites. Corvara marque le début de l’ascension du Gardena, soit encore 8km à 6,7% de moyenne. Le village est dominé par le Sassongher, comparable à une pyramide. La montée est encore une fois éblouissante, dans un décor grandiose et sur une route où les lacets dessinent un cheminement complexe , et au Nord par la longue série des aiguilles du Gruppo Cir.

    

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Le col de Gardena est entouré au Sud par les puissants piliers de roche du Gruppo di Sella

   

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le cheminement complexe du passo di Gardena

L’ambiance devient de plus en plus glauque, le ciel s’assombrit me laissant guère d’illusions sur ce qui m’attend. La pluie refait son apparition et s’intensifie au fur et à mesure que je m’approche du sommet. Dans cette ambiance crépusculaire, les grands bastions rocheux qui m’entourent n’en sont que plus impressionnants. Pas le temps d’admirer le panorama au sommet, je m’équipe pour cette dernière descente alors que c’est la grêle qui tape sur mon casque maintenant, le tonnerre gronde au loin. Bizarrement je mes sens bien dans cette descente, serein, presque heureux d’être confronté ainsi aux éléments naturels, il fait 10°, je suis trempé et je ne tremblote pas. J’ai des images plein la tête, comme un gamin émerveillé par ce qu’il vient de voir.

Selva di Val Gardena, la boucle est bouclée, fin d’une journée mémorable de vélo où j’ai pris le temps d’apprécier, d’être heureux tout simplement. La pratique du vélo en toute liberté génère des émotions et des souvenirs, et ça, ça n’a pas de prix.

   

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l'ambiance devient glauque

   

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les murailles du massif du Sella sous la pluie

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Commentaires
S
Je comprends pourquoi tu es si en forme en Septembre, si tu as suivi de type de programme tous les jours, la deuxième quinzaine d'Aout. En tout cas, ce tour est superbe - merci pour le topo, j'ai trop envie d'aller maintenant. J'attends donc la suite de tes articles sur les Dolomites.
S
Salut Hugues: superbe coin pour le vélo. Je vais prendre le temps de lire cet article tranquillement dans le canapé. Mais les photos sont fantastiques. Pourrais-tu me faire passer par e-mail les coordonnées de ton logement à Selva di Gardena? Cela me donne des idées de lieu de vacances pour le futur.
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