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Unlimited Miles
21 juin 2004

Bordeaux Paris dans le peloton.

bpr2004_1_

Depuis mon abandon lors de l’édition 2002 , il fallait absolument que je retourne sur Bordeaux-Paris pour oublier cet échec, finir coûte que coûte, quelque soit le résultat. Depuis 2 ans, le sujet revenait fréquemment dans les discutions, et depuis Janvier je me préparais petit à petit à encaisser la distance. Après une participation rassurante à la Wysam début juin, soit 333km parcouru en 9h22, je me sentais en confiance pour le grand rendez-vous.

Vendredi 18 juin, 8h30, départ pour Bordeaux, aucun problème sur la route, ça file, les 700km sont vites avalés, on récupère les dossards, et mon père à la gare qui épaulera Laure à l’assistance. Petite frayeur à l’hôtel, visiblement ils sont débordés, l’ordinateur pour les réservations est en rade, ils ne retrouvent pas les deux chambres réservées. Je ne vais pas faire dormir mon père sur la moquette alors qu’il a bloqué son week-end pour moi, qu’il va se taper 18h de bagnole et passer une nuit blanche. Heureusement il reste une chambre de derrière les fagots et tout rentre dans l’ordre.

Samedi 19 juin, le grand jour. Réveil vers 8h, j’ai bien dormi, Laure à l’air en forme, mon père a eu un mauvais matelas, il est un peu cassé, mais je le connais il ne se plaindra jamais .

Le petit dej a du mal à passer, je ne me force pas trop, je grignoterais plus tard. Je me recouche vers 9h30, pour rester au calme jusque vers 11h. Laure et mon père s’agitent pour tout préparer, qu’est-ce que je ferais sans eux ? Vers 12h nous arrivons au départ à la plaine des sports de Bègles, l’ambiance est calme, tout le monde se prépare méticuleusement. Quelques têtes connues permettent de faire un brin de causette pour se changer les idées. Le ciel est chargé  mais la température est clémente. 13h30, je fais contrôler l’éclairage de mon vélo et je me mets sur la ligne. Les discutions vont bon train : « tu compte mettre combien de temps ? », « C’est bien le 650 ? », « tu n’es pas avec la bande à Miranda ? »… Le ciel devient bien menaçant, je demande à Laure d’aller me chercher mon blouson sans manches, qu’elle bonne idée j’ai eu !!

14h, c’est parti. La traversée de bordeaux est neutralisée, je reste dans les dix premiers pour éviter les inévitables bousculades du départ. On traverse la Gironde et c’est le départ réel, on attaque une longue côte pour sortir de Bordeaux, déjà 2 gars se mettent à la planche pour étirer tout le monde, drôle de stratégie. Le parcours évolue ensuite sur des plateaux vallonnés jusqu’à Libourne. Voilà que deux tandems portant les mêmes couleurs se propulsent à l’avant pour imprimer un train d’enfer, l’allure est très souvent proche des 50 km/h, tout le monde est en file indienne. Le tandem le plus impressionnant roule sur un magnifique Cyfac, et vu la musculature des deux pilotes, je crois qu’ils ne sont pas venus pour finir dans les etc.… Tout le monde s’accroche, l’allure est régulière donc c’est un peloton d’une centaine d’unité qui parvient à rester au contact. Les deux tandems se relayent efficacement, et le pauvre cycliste qui s’y mêle se fait éjecter. A ce train, c’est 83 km qui sont parcourus en 2h, 120 km en 3h, « à ce rythme là on va arriver avant la nuit à Paris !! » me dit Paul Eugster, on avait déjà fait un bout de route ensemble à la Wysam et c’est avec plaisir que je le retrouve ici. « Comment on va faire pour neutraliser les tandems ? » je lui demande, avec son accent suisse il me répond « Patience, patience, ils vont pas tenir comme ça, attendons les bosses. »

On approche de Ruelle, le premier contrôle au km 140, la tension est perceptible, tout le monde essaie de remonter pour pointer dans les premiers et se ravitaille. C’est au sprint que  l’on déboule dans les rues de Ruelle, c’est du délire !! 100 gus déchaînés, qui prennent d’assaut une petite table où deux pauvres papys, déjà imbibés de pastis,  attendent pour tamponner les cartes de routes. Une vraie vision d’apocalypse !! Ça gueule de partout, il y a un  amas de vélo, il faut retrouver son assistance, refaire le plein de bidons, remplir les poches. Je tamponne, Laure m’attrape au vol, me bourre les poches, mon père s’occupe des bidons, j’en profite pour aller soulager ma vessie devant des autochtones médusé !! « Ça va ? », « tout va bien, ne vous inquiétez pas ». On s’est bousculé pour rien, le contrôle était neutralisé pendant 5mn, mais il faut à nouveaux se placer dans les premières positions pour ce nouveaux départ.

La sortie de Ruelle est délicate, on rentre dans le secteur où de nombreuses bosses permettent de faire la sélection, j’étais parti par là il y a deux ans. Une longue bosse étire le peloton, je vois le tandem qui rétrograde, allez je lance une offensive. C’est parti, je prends le large, un petit groupe de 6 se reforme à l’avant, je motive tout le monde « C’est ici que ça se joue », les relais sont appuyés, l’écart se creuse. Visiblement les tandems sont piégés. Dans les bosses suivantes je vois que mes compagnons sont un peu justes, mais sur le plat ça tourne bien.

Seulement, voilà que la voiture ouvreuse qui était resté intercalé entre nous et le peloton remonte à notre hauteur et un petit vieux commence à nous traiter de tout les noms : « vous vous croyez malins, vous êtes bien bêtes de vous échapper comme ça, vous pouvez pas attendre las autres, de toute façon on a pas assez de véhicule pour assurer votre sécurité, on va pas mettre une voiture pour 6 gars, on s’occupe du peloton, démerdez vous !!! » Je n’en crois pas mes oreilles, ça s’appelle une douche froide !! On se regarde éberlué, forcément l’allure chute. Un motard remonte à mon niveau et me dis : « écoutez pas le vieux, roulez, on peut vous ouvrir la route avec deux motos », et voilà l’autre enragé qui revient à la charge « si vous insistez, j’interdis aux motos de vous ouvrir la route ». 15 km se passent où l’on ne sait plus quoi faire, je me retourne et je vois le tandem/TGV qui ramène une cinquantaine de gus sur son porte-bagages. Ecoeuré. Au moins dans l’opération un des deux tandem a été lâché. On s’achemine vers le deuxième contrôle, l’Isle Jourdain, au km 230.

Nouvelle arrivée au sprint, c’est encore la foire d’empoigne pour pointer, mais on est moins nombreux, je retrouve Laure et mon père, le ravitaillement est rondement mené, je commence à attaquer les bolinos, Laure me fait manger à la cuillère alors que je suis surexcité par ce qui vient de se passer. Il est 20h, 6h de route, la moyenne est encore à 38 km/h.

On repart dare-dare, on a perdu encore quelques unités. Le ciel devient carrément menaçant, ça m’inquiète. On arrive dans un secteur à nouveau bien vallonné, Paul Eugster me fait un petit signe qui veut dire « on essaye ? », il comprend que je suis partant. On attaque à nouveau dans une bosse, le trou est creusé, mais ce coup-ci on est que deux !! C’est du suicide, mais tant pis, on roule, on réfléchira après. Une petite dizaine de km plus tard, notre guignol de service nous ressort le même couplet : « vous allez où comme ça ? Vous avez été élevé chez les indiens, vous avez qu’à suivre les flèches !! » C’est drôle !!!! La coupe est pleine, Paul commence à péter un plomb : « tu nous fait chier… », S’en suit un dialogue que la décence m’interdit de retranscrire ! No comment. . Inutile de dire que le tandem est revenu.

Peu après, pour détendre un peu l’atmosphère, le ciel décide de nous déverser des litres de flotte sur la tête. Une vraie drache ! On est trempé en trente seconde, les chaussures font floc floc, il doit être 21h et la température baisse sensiblement. J’enfile ma veste sans manche, mais je suis frigorifié, je grelotte, je suis crispé à mort sur le vélo, l’estomac se tord dans tout les sens. Le moral est en chute libre, mais je me suis promis de ne jamais baisser les bras. La grosse averse est suivie d’une petite pluie fine pendant une heure, plus personne ne parle, l’allure a sensiblement baissé, on perdu pas mal d’éléments, on doit être environ plus que 25. On approche le 300e km et la mi-parcours, je n’ai qu’une chose en tête : le prochain contrôle pour me refaire une santé.

Martizay, km 311, il est 22h 30, c’est le premier contrôle de nuit. Il faut faire vite, Laure est tout de suite là, elle maîtrise la situation. Elle m’aide à enfiler une veste thermique et le baudrier réfléchissant, tout en me remplissant les poches avec sandwich, pain d’épice, et les barres aux chocolats que j’adore, je bois un café cul sec et  m’empiffre de hachis Parmentier. 1mn30 chrono et les gars commencent à repartir, je me grouille et revient rapidement dans le paquet. Il fait nuit noire, ça devient complètement surréaliste cette procession de cyclistes et de véhicules. Une moto éclaire les premières positions du peloton, et organise le dépassement du peloton par les véhicules suiveurs. On se sent en sécurité. La pluie s’est arrêtée, et la température remonte. Vers le km 350, je reconnais l’endroit où j’avais abandonné il y a deux ans, psychologiquement j’ai fait le plus dur. Le parcours est devenu plat comme la main, c’est une succession de longue ligne droite. Dans ces conditions le tandem effectue une grosse partie du travail, et c’est tant mieux.

Km 370, voilà le contrôle de Noyer. Il est 0H30. C’est à nouveau expédié à la vitesse grand V, à peine le temps d’avaler quelque chose de chaud, trop tard pour enfiler les jambières, c’est reparti. Vers 1H matin, mauvaise surprise, mon éclairage tombe en rade, la pluie a du avoir raison de lui. Heureusement on est suffisamment éclairé par les véhicules pour s’en sortir. Je pense à Laure et mon père qui doivent galérer pour dépasser les différents pelotons avec les véhicules d’assistance, d’autant plus que l’on rattrape ceux qui sont partis samedi matin. Les Kms défilent de manière monotone.

Km 434, le contrôle de Salbris est un peu chaotique,  il faut aller pointer dans un gymnase : je laisse mon vélo à mon père, et il faut faire un petit footing en tatane de vélo (sans se casser la gueule), Laure me suit en courant toujours pour me remplir les poches, ces encouragements me font du bien, hop là un café en passant. Celui là était brûlant, je le sens passer dans touts boyaux. Je merde un peu au pointage, retourne au vélo pour changer l’éclairage, je n’y arrive pas et je me rends compte que la plupart des concurrents sont déjà reparti. Panique, je pars comme une balle. A la sortie du bled, je vois au loin les lumières de ce qui reste du peloton. Je comprends qu’il va falloir que je me sorte les doigts du cul pour rentrer (expression cycliste !!). 5 ou 6 km plus loin, j’arrive enfin derrière les véhicules d’assistance, il ne me reste plus qu’à sauter d’un véhicule à l’autre pour réintégrer le peloton, Ouf c’était limite. On est plus qu’une quinzaine, les cuisses ont bien chauffé. C’est maintenant la longue traversée de la Sologne, plate et ennuyeuse. Le groupe progresse régulièrement entre 35 et 40 km/h. Vers 3h 30, une nouvelle petite averse nous réveille, le corps se refroidit vite. On traverse la Loire à Chateauneuf sur Loire et vers 4h15 l’aube pointe le bout de son nez. C’est la délivrance, la nuit est finie, les angoisses s’envolent, je vois déjà la Tour Eiffel !!! Malheureusement la température chute.

Km 539, c’est le dernier de contrôle d’Autruy/Juine, il fait 5°, il est 5h45 du matin .Il me semble que l’on est plus que treize à prétendre à la première place, le tandem est toujours là. Je mange tout ce que je peux avaler, c’est horrible les mélanges que je fais ! Dès la sortie du contrôle, un coureur attaque, c’est dur mais ça revient ! Un autre contre, mais s’éteint tout seul. Ça devient tendu. On arrive en vallée de Chevreuse et de nombreuses petites côtes nous attendent. Les moindre s pourcentages sont douloureux. Le tandem commence à avoir beaucoup de mal, il lâche du terrain dans chaque bosses mais parvient à revenir sur le plat, on ne s’entend pas derrière pour le distancer. Je regarde pour la première fois le kilométrage total sur mon compteur, je m’étais promis de ne jamais regarder pour ne pas me casser le moral, 580 km on été parcouru, il doit en rester 50 avec trois belles côtes. Dans l’avant dernière difficulté à 30 km de l’arrivée le tandem est définitivement lâché. Il va falloir s’expliquer entre nous maintenant. A 10km de l’arrivée se dresse le juge de paix, les parisiens l’appelle la côte de l’escargot, allez savoir pourquoi ? Seulement 1,5 km à 5 ou 6%, c’est que dalle, pour nous grenoblois !! Et pourtant…

J’aborde la bosse en 3e position, c’est un espagnol qui mène le train assez soutenu. Soudain je vois passer une fusée sur ma gauche, un petit malin qui était bien planqué depuis des lustres dans les roues, je l’avais oublié, peut-être même qu’il avait disparu, j’en sais plus rien. Je réagis avec du retard, je jette toutes mes forces dans la bataille, mais le gars a creusé l’écart. Au sommet il a pris 200m d’avance, l’espagnol est dans ma roue, les autres ont pété.

Un petit virage à gauche, on prend vent de face sur un plateau dégagé, j’ai plus de force, l’espagnol me relaie, je viens de comprendre que c’était perdu.  4 gars parviennent à rentrer, il reste 5km, l’autre gugus n’est pas loin devant, on le voit, mais je crois que tout le monde a renoncé et pense à la seconde place. Voilà le dernier km, c’est un peu tortueux, au bluff je démarre à 400m, bonne idée car il y a un virage serré  juste avant la ligne, personne n’arrive à me remonter, je franchi ce que je pense être la ligne d’arrivée se cond. Il est 8h.

On nous entasse dans une file d’attente pour faire valider notre carte de route, un groupe de cyclotouriste s’était intercalé entre nous et le premier, qui a disparu d’ailleurs, donc on attend patiemment. 15mn plus tard je fais pointer ma carte. On se congratule, heureux d’en avoir fini, ça fait 18h de route  (17h41 enregistré sur le compteur sans les arrêts), 637 km.

Bisous à ma chérie,  ma mère est là aussi, apparemment elle n’a pas beaucoup dormi cette nuit, une petite pointe d’émotion est perceptible.

L’après midi se passe, entre période de sommeil, rencontre et nouvelles connaissances, en attendant la remise des prix. Pour clore cette épreuve que je n’ai pas trouvée réglo, il fallait bien une remise des prix merdique ! On a été servi !

Le premier est annoncé dans un temps canon de 17h40, il nous a collé 20mn en 5km, quelle accélération ! D’ailleurs ce « vainqueur » n’est même  pas resté à la remise, un signe ?

Le 2e et 3 e sont des inconnus, avec des temps de moins de 18h. Ils ne sont pas là non plus, heureusement !

Je vais râler auprès du podium avec le vrai 3e, ils ont l’air embarrassés, ils n’ont pas trop d’explication, apparemment c’était le pointage de la carte de route qui faisait office de classement et non le passage sur la ligne, personne ne relevait les numéros. Pour nous calmer ils nous annoncent qu’il vont classer les 13 coureurs du final (avec le tandem) second ex-aequo, je crois rêver.

Voilà une expérience formidable qui se termine avec un goût amère. Malgré tout j’ai vraiment pris goût à ce genre de défi, il y a d’autres épreuves qui me font rêver, où il y a moins d’ambiguïté et où les sportifs sont concidérés avec un peu plus de respect.

Pour BPR, je tourne la page…

Merci Laure et Frédérique, qui malgré son boulot de dingue est venu passer une nuit blanche entre Bordeaux et Paris, d’autant plus que par moment l’indescriptible bordel des contrôles doit être un spectacle assez triste à voir pour les non-initiés.

Lire le récit de Laure

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Commentaires
G
Bonjour Hugues,<br /> Je suis le Gugus qui a gagné BPR 2004.<br /> C'est moi aussi qui est attaqué à la sortie de Ruelle, à la sortie de Salbris et à celle d'Autruy sans trouver l'aide que j'attendai pour larguer ce "p...." de tandem.<br /> Je suis désolé que nous n'ayons pu réunir nos forces.<br /> Pour ton info, j'ai déjà fini le PBP 2003 en bonne place, ainsi que le REP ( drafting interdit, on est d'accord ).<br /> Après 15 ans de cyclisme en région parisienne, j'ai pas la réputation d'un " raton ".<br /> Enfin c'est une vieille histoire et j'espère qu'on aura l'occasion de se voir sur une route de l'Isère, je suis grenoblois depuis peu; ou sur une épreuve d'endurance à l'occasion.<br /> Bravo pour ta victoire sur le REP. ( j'en ai rêvé, tu l'as fait! ).
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