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Unlimited Miles
1 avril 2008

Un samedi ordinaire.

les_sommets_du_champsaur
Samedi 29 mars 2008, Barrage de la Saulce (Hautes Alpes), 18h30, les couleurs d'une
fin de journée bien remplie.

7h50,  je pause le cul sur la selle pour une journée ordinaire, une journée d'entraînement pour un gars ordinaire qui se déguise en rédacteur territorial la semaine et en cycliste le week-end, un gars ordinaire qui aime fuir la réalité le temps d'une journée, pédaler longtemps, bouleverser les repères espaces/temps bien établis. Pédaler sur une longue distance possède cette vertu magique de projeter son sujet dans une dimension difficilement compréhensible où seuls comptent les messages envoyés par le corps, le sens du vent, la température, la pente… Principal contact avec le temps qui passe: les besoins caloriques et hydriques à anticiper pour continuer à avancer. La position du soleil dans le ciel, la luminosité et les ombres donnent une vague idée de l'avancement de la journée, ces quelques repères se substituent au découpage traditionnel en heure, minute, seconde. Le voyage vers une autre dimension débute par une immersion dans un petit monde intime et personnel. Ces escapades jusqu'au bout du jour resteront toujours des instants privilégiés.
 

pommerol__perdu_dans_la_Dr_me
Des instants privilégiés:  Pommerol, seul au fin fond de la Drôme.

Il n'y a rien de plus rébarbatif que la digue de l'Isère. Ce petit ruban d'asphalte de 25km rectilignes faisant office de piste cyclable, avec de temps en temps une racine ou un trou pour secouer la mécanique, synonyme de sortie plates et monotones en hiver ou alors d'intervalles le soir en sortant du boulot. Aujourd'hui la digue sert d'échauffement, histoire de digérer le stock de céréales ingurgitées. J'ai mis le cap au nord alors que je dois me rendre au sud dans les Hautes Alpes, cherchez l'erreur. En général quand je pars pour long, je ne me préoccupe de personne, jusqu'à Tullins je récupère à un passager clandestin dans la roue.
- "Tu n'as pas froid comme ça?" me demande t'il.
J'ai choisi l'option cuissard court, mais je n'ose pas lui dire que cet après midi je serais encore sur le vélo. Le gars est couvert comme une momie, cagoule et toute la panoplie pour la traversée de l'Alaska. Nos routes se séparent sans autres mots échangés, direction maintenant au sud: Poliénas, L'Albenc, Vinay, St Marcelin, Pont en Royans. La basse vallée de l'Isère et ses noyers qui étaient sous la neige il y quelques jours, reprend des couleurs printanières. Le fond de l'air est frais, idéal pour un bon fonctionnement de l'organisme et une bonne digestion, un petit flux de nord rend la progression aisée. Pour une fois le vent est mon allié. St Jean en Royans vite traversé, je regarde furtivement ces terrasses de café qui donnent envie de lézarder au soleil. Odeurs fugaces de pains frais et viennoiseries, la plâtrée matinale de céréales est désormais digérée, cette sensation olfactive me rappelle la nécessité de s'alimenter. Je tape dans le diététique, un mars fera l'affaire, et une sous-marque en ces temps de crise du pouvoir d'achat. A partir de maintenant, la régularité dans mon apport calorique conditionnera la bonne marche de cette journée d'endurance.
 

sur_le_plateau_de_leoncel
Le plateau menant au col de Bacchus.

J'en ai fini avec la plaine, le col de Bacchus par Léoncel marque le début des déclivités qui vont s'enchaîner jusqu'à l'arrivée. Environ 20km de grimpée à faible pourcentage, ce col est un axe facile pour traverser le Vercors méridional. Le petit vent favorable me conforte dans un style bourrin qui revient au naturel: gros braquet en danseuse. Je lutte contre ce vilain défaut : "Pose tes fesses et mouline un peu plus!" La montée se déroule en grande partie dans une petite gorge débouchant sur le large plateau de Léoncel où les plaques de neige encore nombreuses donnent à cet ensemble un aspect rude. Paysage typique du Vercors, vaste et imposant le respect, l'ai frais est vivifiant. La descente rapide sur Plan de Baix et Beaufort sur Gervanne marque un changement radical dans le paysage, la neige disparaît des bas côtés et la végétation se fait plus rare Le calcaire et ses formes géologiques caractéristiques prend le dessus sur la végétation forestière. J'aime particulièrement ces massifs préalpins de la Drôme, désertiques et gavés de soleil.
 

col_de_la_croix
Au sommet du col de la Croix: entre Vercors et Diois.

Changement de cap en direction de l'est par le vallon sauvage menant à L'Escoulin, et le discret Col de la Croix (745m), une formalité où seuls les 3 derniers kms proposent des pourcentages retenant l'attention. Le flux de nord est maintenant perturbé par les brises thermiques de vallée, un coup de face, un coup dans le dos, signe que le soleil commence à chauffer les versants bien exposés. Ma progression est satisfaisante et la fatigue n'est pas encore perceptible. L'un des problèmes dans cette région est de bien anticiper les besoins en liquide. Etant donné que l'on trouve plus de producteurs de Clairette de Die que de fontaines, dès que l'occasion se présente il ne faut pas hésiter à refaire le plein … d'eau, je précise. Laure a pris le soin de me préparer des petites dosettes de boisson énergétique hier soir, ce qui m'évitera de terminer à l'eau pure, souvent synonyme de grosse déchirée.

Ste Croix, Pontaix, Vercheny, pas une âme qui vive dans ces villages, cette réalité me remet en mémoire mes cours de géographie où l’on parlait de " France du vide " et désertification. Et pourtant ce " vide " je l’apprécie, ces vallées à l’écart de l’agitation quotidienne, coincées entre Vercors, Diois et Baronnies possèdent un charme indescriptible qui se déguste en silence.

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St Benoît en Diois, le pays de la Roanne.
 
plissements_calcaires
Les plissements calcaires du pays de la Roanne.
 
le_long_de_la_roanne
Un pays façonné par le cours de la Roanne.

Je laisse derrière moi la D93, comparable à une autoroute reliant Crest à Die, pour aborder la vallée de la Roanne par St Benoît en Diois et St Nazaire le Désert. Je souhaite à tout cycliste d’emprunter un jour cette D135 qui vous fait pénétrer dans un secteur géographique possédant une forte identité. Ce petit pays appelé anciennement " le Désert ", est bien délimité entre la rivière Drôme au nord et l’Eygues au sud, à l'est c'est une ligne de crête continue, dont les sommets sont peu marqués, qui s'étire sur 28 km du Solaure à Chalancon. La Servelle y possède le point culminant de la région (1613m). A l’ouest, la longue barrière de Couspeau culmine à 1544m au Grand-Delmas et se maintient ensuite entre 1200 et 1400m. Le bassin de la Roanne possède la forme d’un vaste entonnoir d’environ 240 km². Tous ses accès se font par des cols, à l’exception de l’entrée nord au pont d’Espene. La vallée de la Roanne est un pays rude, qui ménage très peu d'espaces plats pour l'agriculture, où les communications sont malaisées en hiver. Ce pays a particulièrement souffert de la désertification mais aujourd’hui un phénomène vient bouleverser le paysage : l’engouement des citadins pour l’espace rural. Ceux qui aiment la nature brute, chaotique, sans fard, sont comblés. C'est un pays où la terre montre ses os, des bad-lands de Gumiane aux roches extraordinairement plissées de Savel, de Pradelle, de Volvent, des défilés de la Brette et de la Courance aux gours de la Roanne…"le pays le plus froissé et le moins connu du département" écrivait Félix Grégoire en 1900.
 

au_dessus_de_st_nazaire
La route s'élève au dessus de St Nazaire le Désert et domine la vallée.
 
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Ligne de crête, des traces de l'épisode hivernal récent.
 
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Aucune trace de vie à l'horizon.

D’un point de vue cycliste, la vallée de la Roanne est un long faux plat de 25km jusqu’à St Nazaire le Désert ponctué de quelques ressauts, puis la pente se redresse durant une dizaine de kms franchissant une succession de paliers jusqu’à Volvent, village perché hors du temps, avant une dernière portion de 4 km en pente douce débouchant sur le col des Roustans (1030m). Seul au monde dans ce décor sublime, une rencontre furtive et inattendue, je croise au détour d'un virage deux cyclistes descendant en sens inverse, salut amical, je connais cette silhouette: Mister "Crazy Gone"…Hello Dom!

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Volvent, dernier vllage avant le col des Roustans.
 
volvent
Des endroits comme celui-ci existent encore!
 
col_ds_roustans
Aucune difficulté pour franchir le col des Roustans.

La descente, d’abord paisible, puis spectaculaire, taillée dans la roche à la hauteur de Chalencon, débouche sur la vallée de l’Oule. Courte transition de 7 km entre la Motte Chalancon et La Charce, avant de négocier le prochain talus : le col de Pommerol (1072m). 7km et 460m de dénivelée, si ce col n’est pas terrifiant, avec 200km dans les jambes il commence à être douloureux. La route est pour le moins pittoresque, traversant les gorges de Pommerol semblables à un canyon en miniature, quelques lacets au revêtement aléatoire se redressent au milieu d’une végétation parfois montagnarde, parfois méditerranéenne en fonction de l’exposition. La vigilance est de rigueur pour basculer sur Rosans, rapide, sinueuse et gravillonneuse, cette route pourrait piéger un descendeur trop sûr de lui.
 

chalancon
Chalancon, accroché à la montagne.
 
canion_de_pommerol
Les gorges de Pommerol, un canion en miniature.

col_de_pommerol
La route est rustique.

Inlassablement, je poursuis ma route, l’esprit vagabondant au grès des montées et descentes. C’est fou ce que l’on peut méditer lors de ces grandes virées, pédaler pour refaire le monde dans sa tête, en silence. Je continue mon exploration de vallées inconnues, la D949 reliant Rosans à Trescléoux via le Col de la Flachière (870m) est un pur bonheur. Moins spectaculaire que la Roanne elle possède néanmoins un charme à part. Une circulation automobile proche du néant, un calme absolu, les couleurs chaudes d’une fin d’après-midi, le tableau est idyllique.

Le contact avec la civilisation s’effectue à proximité de Lagrand et la traversée de Laragne. Le hasard fait bien les choses,  je reconnais devant moi deux silhouettes familières : Anne et Mark. On aurait voulu se croiser, on n’ y serait pas arrivé. Discutions furtives autour de projets immobiliers, j’ai du mal à reconnecter les neurones pour dire quelque chose d’intelligent. La probabilité que deux itinéraires se croisent est faible, la situation est amusante et me sort de cet état à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire dans lequel je plonge lorsque je roule seul. Bye Anne et Mark, il me reste encore un peu de route avant la nuit.
 

les_vergers_de_la_durance
Les vergers de la Durance entre Laragne et Monêtier-Allemont.

Mon itinéraire remonte maintenant vers le nord par la route de Gap, la D942, redoutable par vent du Nord, ne me fera pas souffrir aujourd’hui, les jambes réagissent bien et le vent s’est calmé. La luminosité commence à prendre des teintes rougeoyantes, signe que la journée touche à sa fin. Monêtier-Allemont, rive gauche de la Durance, barrage de la Saulce avec en toile de fond les sommets du Champsaur étincelants, instants féeriques où la sensation de l’effort est gommée par les endorphines. Je regarde l’heure, il est 18h30, je passe un petit coup de fil à Laure pour la prévenir que tout va bien, il me reste environ 40mn pour arriver à Pelleautier, terme du voyage. Pelleautier est un petit village perché au dessus de Gap avec vue imprenable sur le bassin de la Durance, il reste une méchante de bosse de 400m de dénivelée pour y parvenir. J’ai grillé mes dernières cartouches de ravitaillement et jette ce qui me reste de force pour monter à Sigoyer. La route de St Laurent est rude, elle aura le dernier mot, je termine KO technique les 2 derniers kms de l’ascension, panne de son, panne d’image. Laure est venue m’éclairer pour les derniers kms sur cette superbe route en balcon conduisant à Pelleautier. Quelques kilomètres en pente douce accompagné des dernières lueurs du jour, timing impeccable, génial…

champsaur
Le Champsaur brille de mille feux en cette fin de journée.

Je retrouve le gîte, parfaît, les beaux parents qui terminent leurs vacances, une douche, décompression trop courte, revenir à la réalité, pas évident après 300 km en apesanteur.
- " Tu ne t’es pas ennuyé pendant toute cette journée ? "
- " You take the apero ? "
...
Comment expliquer ?
 

290308

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Commentaires
D
C'est un itinéraire magnifique, quand j'étais revenu de vacances de Malaucene j'étais passé par le diois et la roanne(sensiblement les même cols avec le soubeyrand et peyrurgue avant) avec le col de pennes et le rousset pour finir dans le vercors.<br /> C'est une region magnifique et très peu connue qui offre des paysages grandiose.
L
un peu plus au nord, dans le col de Prémol... Ce soir-là le vent du nord était redoutable.<br /> <br /> ça va l'faire le Glockner Machin.<br /> <br /> Le Spectre
D
Et un récit passionnant de plus, un !!<br /> J'ai l'impression (ce n'est en fait pas qu'une impression) en lisant certains de tes posts de découvrir certains coins de départements que je pensais plus ou moins connaitre.<br /> Unlimited miles c'est aussi une très belle leçon de géographie...
D
je m'elancerai dans ces longues echappées solitaires!!<br /> <br /> le verbe et les images conjugées !!<br /> <br /> super tes recits !!<br /> <br /> c'est ce à quoi j'aspire...encore quelques années d'experience et d'entrainement et...de disponibilité<br /> j'ai un court passé de cycliste mais un bel avenir devant...<br /> <br /> j'ai bcp aimé aussi ton recit sur l'arzelier,les deux et l'allimas,mes cols fetiches car j'habite à vif !!<br /> <br /> a+ dimitri.
M
Merci pour ton commentaire sur mon blog... et encore une fois, Bravo pour l'ensemble des tes challenges et ce blog, si bien illustré, qui donne envie de se surpasser davantage.
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